La démente

« – Tu es vraiment sûr de savoir te servir de cet engin ?
– Non je ne sais pas ! Mais t’as une meilleure idée pour s’échapper ?! »
Voilà déjà une demi-heure qu’ils sont enfermés dans ce local humide. L’air est à peine respirable, on voit même se former de la mousse dans les coins. Seule une petite fenêtre opaque laisse entrer la lumière. L’homme a un frisson qui lui remonte l’échine et lance à sa camarade :
« – Accélère Lindsey ! Il me semble entendre ses pas ! »
En effet, un bruit sec de talons se rapproche de plus en plus et résonne dans le corridor carrelé. Alors que Lindsey tente désespérément de couper ses chaînes, un rire machiavélique et moqueur se fait entendre derrière elle, ce qui lui fait lâcher son outil dans un sursaut.
« – Alors Lindsey, tu es déjà si pressée de rejoindre tes amies ?
– Arrête Bellatrix ! T’es malade, il faut te faire soigner ! »
La jeune femme brune, du haut de ses escarpins noirs, pose délicatement sa main vernie sur l’épaule frissonnante du jeune homme et dit d’une voix suave en esquissant un sourire :
« – Tu es bien radicale, tout ce que je souhaite c’est un rendez-vous avec ton bel ami.
En dégageant son épaule, un air de dégoût sur le visage, celui-ci lui répond sans hésitation :
– Même si tu me demandes tous les jours, je refuserai toujours. Même sous la torture…
– Mais mon cher, ce n’est pas toi que je vais torturer. »
Elle avance alors jusqu’à Lindsey, détache ses chaînes du mur, et la traîne derrière elle avec une force insoupçonnable. Lindsey a beau lutter, elle s’écorche les genoux sur le carrelage et ses poignets sont cisaillés par les fers. Son compagnon d’infortune s’agite, tire sur ses propres liens, essaye de rejoindre son amie et hurle dans leur direction :
« – Que vas-tu faire d’elle ?! Où sont les autres ?!
– Oh ne t’inquiète pas mon chou, elles sont bientôt prêtes pour TON spectacle. »

Le garçon se retrouve seul, sanglotant sur son triste sort. Qu’allaient devenir ses amies ? Et qu’allait-il devenir ? Ce harcèlement durait depuis des mois, mais elle avait vraiment passé un cap en les enfermant ici.
Il n’a pas le temps de s’apitoyer davantage que le bruit de pas revient. En voyant la femme s’avancer nonchalamment, il lui semble reconnaître, coincés dans les boutons de son chemisier et dans ses doigts, de longs cheveux blonds. Lindsey a dû se débattre autant qu’elle a pu.
« – Il ne manque plus que toi mon lapin. »
Il n’y a plus le choix, il faut la suivre. Arrivé au bout du couloir, une odeur acide lui remplit les poumons et lui fait tourner la tête. Il reprend ses esprits rapidement, mais en voyant la scène d’horreur qui s’ouvre devant lui, il manque de défaillir. Britney est ligotée, suspendue par les pieds au-dessus d’une cuve d’où s’échappent des bulles. Sandy est attachée à une chaise en équilibre sur un vieux plongeoir rouillé, juste à côté. Et Lindsey, toujours enchaînée, a été jetée dans un coin, inconsciente.
« – La pauvre chérie ne voulait pas se laisser faire, on s’en occupera plus tard. Commençons ! »
Bellatrix se déplace et ouvre une vanne. Un gargouillis glauque se fait entendre. Un goutte à goutte d’eau bouillante se met à tomber sur la plante des pieds de Britney, glisse le long de ses jambes et de son dos, lui arrachant un cri de douleur. Bellatrix se retourne vers le jeune homme resté coi.
« – Alors, es-tu prêt à accepter ma proposition ?
– Refuse ! crie Sandy. De toute façon c’est du bluff !
– Tu parles trop. »
Et sur ces mots elle actionne une seconde vanne qui fait lentement descendre la malheureuse dans la cuve, tête la première. Au contact du liquide ses cheveux font un pssshh résonnant, et augmentent le nombre de bulles éclatant à la surface.
« – Qu’est-ce que c’est ?!
– De l’acide chéri. C’est parfait pour gommer les imperfections.
– Aaaaaah ça brûle ! Mes yeux ! »
Le liquide est maintenant à mi-visage.
« – Ta réponse a-t-elle changée ?
– Mais ça ne va pas ?! »
Sans hésiter la terrible femme ouvre la vanne entièrement, laissant tomber Britney d’un seul coup dans le bain d’acide.
« – Oups, tu as cramé ton joker, dit-elle en s’approchant d’un levier. Au prochain essai, ce sera fini… »

« – Julie sort du bain, c’est l’heure du dîner !
– Oui maman, je me rince et j’arrive ! »
La baignoire se vida et les barbies, recouvertes de mousse, se retrouvèrent ensemble au fond. Une fois la fillette partie, Britney cracha les bulles de savon.
« – Bwar, mais quelle horreur cette mousse ! C’est parfum toilettes ?
– Aîe ! Je me suis cogné la tête quand elle m’a balancée contre le mur, dit Lindsey. Ken, au lieu de te marrer, tu ne voudrais pas m’aider à me détacher ?
– Holala, je suis tellement désolée, dit Bellatrix en défaisant les liens de Sandy. C’est toujours moi qui fais la méchante.
– En même temps c’est vrai qu’avec tes cheveux fous et ton maquillage qui coule tu passes facilement pour une sorcière, répond celle-ci.
– En attendant j’ai toujours ce sale goût sur la langue, c’était quoi cette idée de bain d’acide ? lance Britney dans un ultime crachat.
– Noooon pas la trempette !
– Oh Ken, t’es con…
– Bon, pour me faire pardonner c’est moi qui cuisine ce soir, dit Bellatrix.
– Quelle tambouille tu vas nous faire ?
– Oh, je pensais aller chiper un mouton aux playmos pour faire un mijoté…
– Oh, trop bonne idée, ça fait un bail que je n’ai pas mangé un vrai ragoût de mouton ! »

 

« Les Frangines associées » Emmanuelle PEREZ & Eve ROBIN

Illustration François ROBIN © 2021 Tous droits réservés