Un dernier cadeau

Il tenait son poing fermé et serrait de toute sa force. Le bout de ses doigts en était rouge tandis que les jointures de la main ne cessaient de blanchir. Ses ongles se seraient fichés dans la chair de sa paume s’ils avaient eu la longueur suffisante.

Dans le tout petit matin encore soumis aux caprices de la lune et des dernières étoiles, le silence de la nuit finissante commençait, lentement, par à-coups étouffés, à se fissurer. Autour de la maison, pourtant, l’immobilité du temps paraissait factice.

Il serra encore un plus son poing mais en vain : il était parvenu au maximum de ses possibilités physiques. Il se saisit alors de la bobine de ficelle et enroula celle-ci autour de sa main, ajustant sur sa peau plusieurs tours de plus en plus sanglés jusqu’à ce que son membre ressemblât à une espèce de grosse et informe pièce de viande aux couleurs vives et luisantes. Il parvint à nouer la fine corde de façon à immobiliser totalement sa main sans qu’il pût désormais se libérer de cette entrave.

A l’extérieur, le silence était devenu une véritable mise en scène raillée par les nombreuses ombres, les unes lentes et basses, les autres fugitives et filiformes, qui apparaissaient puis s’évanouissaient sur le gris des murs mitoyens, dans le chaos des bosquets négligés, grandissaient exagérément sur les pavés de la rue, puis disparaissaient enfin comme si tout, d’un coup, d’un seul, venait d’être effacé de la surface de la terre.

Les nerfs de sa main emprisonnée faisaient remonter le long de son bras et dans son épaule des douleurs de plus en plus violentes. Malgré le froid ambiant, la sueur coulait sur son visage et collait à son corps gilet et pantalon. Pourtant il grelottait. De peur ? Certes non…ou un peu…mais si peu ! Non, il redoutait surtout de s’évanouir trop tôt. Il craignait que son organisme lâchât prise avant le moment fatidique. Il avait foi dans ce qu’il réalisait mais les terribles élancements de son membre entravé ne risquaient-ils pas de lui faire perdre connaissance avant le grand final ? C’était là sa seule angoisse, mais combien lui torturait-elle les viscères !

Puis le jour tenta sa première et timide incursion dans le ciel. Le soleil, encore somnolant à l’est, n’en repoussait pas moins mollement la nuit qui acceptait de s’éclipser avec dignité mais froideur avant d’être ridicule et dédaigneusement éteinte.

Malgré le mal intense qui maintenant irisait son bras, son torse et son dos, il sourit. Il leva fièrement sa main saucissonnée, la porta à ses lèvres pour l’embrasser longuement. Avec le jour naissant, il comprenait qu’il avait réussi et que son martyr ne serait pas vain.

Ce fut à cet instant précis que cris et ordres résonnèrent au dehors. Aussitôt, la porte d’entrée et les fenêtres du rez-de-chaussée s’éparpillèrent en éclats de verre et de bois.

Il sourit d’une joie vraie lorsqu’il vit le visage de l’officier SS se pencher sur lui.
Il croqua la capsule de cyanure.
Il n’entendit plus rien, ne vit plus rien. Il était mort.

L’officier nazi, rageur, coupa de son fier couteau à tête de mort, la cordelette qui maintenait fermé la main du résistant.
Délivrés de leurs liens, les doigts s’écartèrent immédiatement. Une grenade, cuiller relevée, roula sur le sol.
L’officier SS n’eut que le temps de lire les quelques mots tracés dans la paume du mort avant d’aller le rejoindre : « démerde-toi avec ça ! ».

Bernard DELMOTTE

Illustration François ROBIN © 2022 Tous droits réservés